MotoGP Road trip à Aragon

Pour la plupart d’entre vous, aller voir un GP est synonyme de virée à moto. Mais quand on est reporter de Grand Prix, c’est habituellement en avion puis en caisse de loc que ça se passe. Sauf pour le GP d’Aragon, et c’était vraiment bonnard.

Selfie de départ. C'est parti pour 1500 bornes de meule en six jours. Une vraie cadence de retraité. Crédit Toto.

Selfie de départ. C’est parti pour 1500 bornes de meule en six jours. Une vraie cadence de retraité. Crédit Toto.

 

21 H 30 dimanche soir. Le GP d’Aragon est terminé. Après avoir revêtu mes fringues de moto et rangé mon matos de reporter (ordinateur, appareil photo, fringues « civiles »…) dans un sac à dos presque aussi grand que moi, je met le cap sur le parking P1 réservé au personnel travaillant sur le paddock. En passant devant l’hospitality Marc VDS, je vois Alex Marquez et son équipe attablés. Ils fêtent leur tout premier podium Moto2, acquis après un an et demi d’efforts. Comme Marc Marquez m’a expliqué en conférence de presse d’après course qu’il a failli essuyer une petite larme en voyant son frangin franchir la ligne d’arrivée second, je me dit que ça vaut bien des félicitations et un serrage de louche. Alors que j’entre déguisé en tarmo dans l’hospitality, le faciès incrédule d’Alex me fait sourire. « Bravo pour ce premier podium Moto2, Alex ! » « -Merci, mais tu vas où habillé comme ça ? La vache, quel sac à dos ! Il est où le camping ? » Toute l’équipe se marre. Clairement, pour eux, je suis un Ovni. Mais une fois sur le parking, les réactions des collègues sont plus positive. Simon Patterson, reporter MCN qui vient d’avoir l’équivalent de son permis A2, bave devant la Versys 1000. « Ca a l’air confortable comme engin ». Marc, le chef mécano de Johann Zarco, qui est venu en voisin sur un improbable roadster sur base de BMW K1, est content de pouvoir discuter moto. Après avoir débéquillé ma monture juchée sur sa centrale, soit l’opération la plus périlleuse du trip dans un parking en gravier meuble, je jette un œil à l’activation de ma veste airbag Alpinestars (test produit à venir prochainement). J’appuie sur le démarreur, enclenche la première, et me fait happer par la nuit. La moto, c’est l’aventure, à chaque fois.

Traversée du désert

Cinq jours plus tôt, soit mardi soir, je dépose mon SH 300 Honda en révision chez Igoa moto, à Anglet, et l’échange contre une Kawa Versys 1000 modèle 2016 tout juste rodée. Je ne perds pas au change. A basse vitesse, la Kawa me flashe par son équilibre et son agilité. Dans les petits coins, elle est plus vive que mon scoot ! Bulle réglée en position haute, tableau de bord lisible, assise droite et 4 cylindres ultra-souple : le premier contact est positif. Il y a dix ans, quand j’étais essayeur, la première Versys 650 m’avait laissé une très bonne impression au niveau châssis comme moteur dans le roulant, mais j’avais des doutes sur l’agrément et la souplesse du parallèle twin à moyen terme en ville. Avec le 4 pattes qui reprend à 1000 tr/min en 6è, le problème ne se pose pas. En même temps, pour être tout à fait honnête, la première fois que j’ai vu sortir ces gros trails hybrides dotés de moulins de routières, je me suis dit à quoi bon ? On va perdre l’agilité du trail et se retrouver avec une meule puissante mais lourde et haute qui ne va pas arrêter de faire le yo-yo sur ses suspensions. 5 minutes après avoir enfourché la Versys, je suis prêt à manger mon chapeau. Le voyage s’annonce bien. Le plein d’essence, la meule au garage, une solide chaine antivol logée sous la selle. Y a plus qu’à ficeler le paquetage, et demain taïaut !

Mercredi matin. Beau temps, comme prévu. Je blêmis en constatant que mon sac à dos pèse quasiment 20 kilos, mais pousse un ouf de soulagement en parvenant à le caler de manière pratique contre la selle passager. Ainsi, avec les sangles détendues, je ne le sens quasiment plus. Et je me dis qu’en cas de carton, ça ne perturbera pas le gonflement de l’airbag.

Lors de la traversée de Biarritz vers l’autoroute, je constate que le mode moteur est F (comme Full, déduis-je), et le contrôle de motricité sur 2. Je me marre en m’imaginant tenter des glisses avec mon enclume de 250 kilos à l’accele. Mais bon, c’est une sécurité de plus après tout. Je décide de tout laisser tel quel, et d’éplucher le mode d’emploi si quelque chose me dérange. En 1500 kilomètres, je n’y prêterai plus aucune attention. Premier péage, toujours une galère en meule, et direction l’Espagne. Je monte les rapports et me cale sur les 110 km/h réglementaires. Je ne suis à peine à plus de 4000 tr/min, pas une vibration en vue, la protection de la bulle est très correcte, mais quand on mesure 1M 75, les filets d’air sont déviés juste sur le haut du casque, ce qui engendre déjà un bruit significatif. Comme il faut vivre avec son temps, j’ai branché le GPS de mon I-Phone sur Cervera, la ville natale de Marc (voir le poste « les lecteurs au GP d’Aragon avec Stef Coutelle »), et une douce voie me susurre les changements de direction dès après le passage de la frontière à San Sebastian. C’est pas du luxe, vu qu’il y a des bretelles d’autoroute dans tous les sens. Et ça permet de rester concentré sur le trafic, plutôt dense à cet endroit. Slalomant un court moment dans les vallées industrieuses des Pyrénées, je prends ensuite de l’altitude, et me retrouve subjugué par la beauté sauvage de la chaîne de montagne franco-espagnole. Même sur l’autoroute, c’est grandiose, et je stoppe même sur une aire/belvédère doté d’une table d’orientation pour admirer la mer de nuages qui drappe la base des montagnes. 75 km au compteur, et c’est déjà un grand voyage.

Le Pays Basque espagnol dans toute sa splendeur, même depuis l'autoroute. Crédit TB

Le Pays Basque espagnol dans toute sa splendeur, même depuis l’autoroute. Crédit TB

La vitesse étant théoriquement limitée à 120 km/h chez les Ibères, je me cale à un raisonnable 130 km/h compteur, mais me fait dépasser par toutes les caisses. Je me dis que le coin n’a pas encore cédé à la paranoïa sécuritaire qui règne chez nous, et opte finalement pour un 140 compteur qui sera mon rythme de croisière. En jouant du commodo à main gauche, je constate qu’à 5000 tr/min en six, ma conso instantanée est sous les 6 litres, et que mon autonomie théorique est de quasiment 400 bornes. Carrément respectable pour une meule. Je stoppe finalement un peu après la mi-parcours, à 300 bornes, pour un arrêt ravitaillement moto/pilote + pose de bouchons d’oreilles salvateur. Les bruits aérodynamiques m’ont mis la tête comme un compteur à gaz, et j’ai déjà les fesses en compote malgré le confort selle/suspensions au dessus de tout soupçon. Après m’être intérieurement traité de fiotte (quand j’étais jeune beau et con, on s’était tapés 1500 km en une journée avec mon camarade Mathias Lacombe), je reprend la route en me disant qu’y faut pas mollir, bordel. Tout autour, le paysage est devenu plat comme une assiette, et aride comme dans un bon western. Passé Saragosse, ça devient même spectaculaire, avec des monts desséchés et de mini-canyons de cinoche. Je m’attends à voir surgir John Wayne et les Indiens, mais c’est logique : je traverse le désert de Monegros, où la température flirte avec les 35°c celcius.

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Le désert de Monegros. Ceux qui y sont tombé en panne ont fini bouffé par les vautours. Crédit TB.

En mode digestion, sur l’autoroute aussi vide que monotone, une sévère envie de siester me prend. Arrêt sur une aire de repos, je cale le sac à dos en position oreiller et roupille d’un œil un quart d’heure étendu sur un banc. C’est l’aventure !

Sieste-selfie. Fait tiède et j'ai les yeux qui se croisent. Dans ces cas là, la pause s'impose. Crédit TB

Sieste-selfie. Fait tiède et j’ai les yeux qui se croisent. Dans ces cas là, la pause s’impose. Crédit TB

Une fois les yeux en face des trous, je remonte sur ma vaillante Versys, enjambant la selle en appui sur la latérale tel le lonesome cowboy, et rebranche le GPS pour ne pas me perdre à l’approche de Cervera. 100 bornes plus tard, je béquille la bête devant le fan club de Marc Marquez. Mathias et sa Laguna chargée de matos se pointe, puis les lecteurs de MJ encadrés par Telcou : j’aime quand un plan se déroule sans accroc.

Arrivée à Cervera, où contrairement à Tavullia, la vitesse n'est pas limitée à 93 km/h. Dommage ! TB

Arrivée à Cervera, où contrairement à Tavullia, la vitesse n’est pas limitée à 93 km/h. Dommage ! TB

Un paddock tarmo.

200 bornes de liaison supplémentaire pour atteindre le circuit d’Aragon jeudi midi, et je suis à pied d’oeuvre : en 700 km, mon postérieur s’est tanné, et mes réflexes d’essayeurs reviennent. Je recommence même à mettre un peu d’angle, et ai chatouille les 10 000 tr/min au compte-tours sur les lacets de fou qui mènent au circuit. Je commence à comprendre pourquoi ils ont équipé leur moulin d’un contrôle de motricité. Le grip des Bridgestone d’origine est très bon, mais quand les presque 150 ch du moulbif débarquent en sortie de courbe, ça pousse sérieusement. Avec mon quotidien scooteristique, sur route, j’ai l’impression d’être aux commandes de la navette spatiale, ce qui fera bien rire les propriétaires de S 1000 RR nantis de leur 200 bourrins. N’empêche que pour moi, sur cette Versys 1000, il y en a assez pour s’amuser, et qu’on bénéficie d’un châssis à la fois confortable et rigoureux pour exploiter la cavalerie. Pas besoin d’aller trifouiller les hydrauliques de suspensions ni la molette de précharge. En réglages d’orige, avec un ensemble pilote + matos qui pèse pas loin de 105 kilos, la meule se tient au freinage, à l’accele et sur les bosses. Sa tenue de cap est vraiment rassurante en grande courbe, le bras de levier important du guidon permet de placer la moto sans effort, et la précision des commandes ne se dément pas en haussant le rythme. Même en freinant fort, l’ABS ne s’est pas déclenché une seule fois. Quant au légendaire caractère moteur des 4 pattes Kawa, il est bien là : une salve de vibration réjouissante vers 6000 tr/min, des montées en régime qui « sonnnent » comme une sportive, et une allonge inconnue sur un trail. C’est bien simple, au moment de garer la meule au parking du circuit, je regrette amèrement de ne pas pouvoir faire quelques tours en cuir afin d’éradiquer les 2 cm de « bande de peur » qui grèvent l’allure du pneu arrière.

Samedi matin à Aragon, Valentino Rossi est moins soigneux que moi avec sa monture. Mais c'est parce qu'il en a une de rechange :) Crédit TB

Samedi matin à Aragon, Valentino Rossi est moins soigneux que moi avec sa monture. Mais c’est parce qu’il en a une de rechange 🙂 Crédit TB

Dès mon arrivée, nombre de mécanos de teams me saluent amusés, et répriment une réaction de surprise lorsque je leur montre ma veste Alpinestars avec airbag autonome embarqué. A la manche gauche, les diodes de contrôle de fonctionnement sont situées exactement au même niveau que sur le cuir de Marquez, et je sens la majorité de mes collègues favorablement impressionnés par le fait que j’ai fait l’effort de venir à moto. « Il devrait même y avoir un parking spécial pour les employés du paddock motards ! » ajoute avec enthousiasme mon confrère David Emmett, qui a cette année, rallié les circuits du Mugello, Sachsenring, Redbull Ring et de Brno sur sa 1200 GS. Le fait est qu’ici, cuistots, mécanos, techniciens, team-managers et même propriétaires d’écurie, tous sont motards. Et ce signe d’appartenance à une même famille nous rapproche. Chaque soir, chaque matin, de vendredi à dimanche, c’est un vrai plaisir de parcourir les 45 km qui me séparent du circuit à l’hôtel au guidon celle qui est devenue « ma » Versys. De nuit, malgré l’éclairage puissant (et réglé un peu haut en codes si j’en crois le nombre d’appels de phares reçus), il est plus chaud de maintenir une cadence respectable. D’autant que dans un coin si désertique, il peut bien se passer trois jours avant qu’on me retrouve si je me sors. Mais l’irruption de chêvres sauvages le matin du second jour, pile au même endroit que l’année passée, et à la même heure (!) sera le seul incident de parcours. Ça et une pelleteuse mal signalée par les ouvriers dans un virage aveugle alors que je chauffais le moteur vendredi. Il y a un dieu pour les motards…

Après Cinq jours de selle, la Versys 1000 est devenue une sorte de prolongement de mon enveloppe charnelle, et les 500 bornes du retour sont une formalité. Il est désormais temps de rendre son jouet à Patrick Igoa. Lorsque je remonte sur mon scooter le lendemain matin, j’ai l’impression d’être assis sur la cuvette des chiottes, que le moteur n’existe plus, et que les suspensions ont gelé. Misère !

La nationale qui mène à Saragosse lors du voyage retour. Ca ne se bouscule pas au portillon. Crédit TB

La nationale qui mène à Saragosse lors du voyage retour. Ca ne se bouscule pas au portillon. Crédit TB

Merci à :

Igoa Moto pour le prêt de notre moto d’essai. Jolie concession KTM/Kawa située juste derrière l’aéroport de Biarritz, à Anglet, au Pays Basque (64). Seul vrai spécialiste du tout-terrain dans le coin, Igoa moto propose une gamme cross et enduro fournie estampillée KTM. Ainsi que tous les modèles routiers de la marque, Superduke GT et Super Adventure en tête. Chez Kawa, une H2 1re main à 23 500 euros vous fait de l’œil dès l’entrée, mais on trouve aussi les plus raisonnables Versys 650 et 1000. « C’est bien simple » explique Patrick, « toutes les Versys que l’on a vendu l’ont été après essai. » L’essayer, c’est l’adopter, foi(e) d’essayeur MJ, et pour les routes de France et de Navarre, c’est un outil. Patrick Igoa, qui fut un top pilote d’endurance puis un pilote de GP 250 et 500 dans les années 80, connaît le coin comme sa poche, et nous avait emmené jusque dans le désert des Bardenas à dos de trail mono il y a 10 ans. une balade fantastique. Quel que soit le type de machine qui vous tente, il saura vous conseiller. Vous pouvez aller le voir les yeux fermés.

Le fringant Patrick Igoa et sa Versys 1000 rodée par MJ. Achetez mes enfants, c'est un collector ! Crédit TB

Le fringant Patrick Igoa et sa Versys 1000 rodée par MJ. Achetez mes enfants, c’est un collector ! Crédit TB

Igoa Moto, Z.A. du Maignon, 2 Route de Labordotte, 64600 Anglet.

Tel : 05 59 55 39 29.



Ailleurs sur le web
1 commentaires sur cet article
  1. Pareil mais en mieux : de vendredi 17h à dimanche 23h sur SV 650 S
    La preuve sur http://bourdonnippon.over-blog.com/2016/09/motogp-aragon-j-y-etais-l-automne.html

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