Ducati Panigale : autopsie d’une carrière singulière

L’arrivée de la Panigale V4 a définitivement clos le chapitre “L2 hypersport” de la marque Ducati. Elle marque la fin d’une histoire exceptionnelle, qui a connu pour dernières héroïnes les Panigale 1199 et 1299. Retour sur une carrière singulière.

Ducati Panigale 1199 1299

En 2011, Ducati a le vent en poupe et profite de cette brise favorable pour réaliser un virage technologique à 90°. @photo-constructeur

2011 : Carlos Checa devient champion du monde Superbike au guidon de la Ducati 1098 R et les Multistrada et Diavel 1200 fraîchement sorties, permettent une progression de 21 % des ventes de Ducati. La marque a le vent en poupe et s’apprête à présenter, au 69e salon de Milan, un chef d’œuvre d’ingénierie et de design. Probablement le plus gros pari de son histoire : la Ducati Panigale 1199.

Une fois le voile levé, sa plastique en laisse plus d’un rêveur et ses nouveaux choix techniques plus d’un songeur. La Panigale n’a jamais eu vocation à répondre aux attentes des puristes ; mais plutôt à leur en susciter de nouvelles. Son rapport poids/puissance est inédit à l’époque. Il annonce une onde de choc sur le marché de la moto, semblable à la secousse produite par la Ducati 916 en son temps (1994).

Ducati Panigale 1199 1299

La Panigale a renié la plupart des dogmes technologiques adoptés par ses aïeules. @photo-constructeur

Séisme technologique et technique 

Cette onde, les aficionados Ducati en ressentent encore l’écho. Lorsqu’elle débarque en 2011, la Panigale fait l’affront d’abandonner la plupart des dogmes de la marque. Adieu l’éternel cadre treillis tubulaire, l’embrayage à sec et la traditionnelle distribution par courroies. La nouvelle hypersport de Bologne adopte désormais un moteur porteur et un cadre monocoque. Un choix surprenant, car la Desmosedici de GP vient de renoncer à cette technologie faute de résultats… Peu importe, la tradition esthétique n’est pas toujours synonyme d’efficacité. Ducati rompt avec cette coutume et abandonne aussi les pots sous la selle. Ils migreront sous le moteur, aux cotes davantage hyper-carrées, d’où son nom Superquadro. Ce nom traduit une augmentation de l’alésage et une réduction de la course des pistons. On accroît ainsi le régime maxi du moteur, mais on diminue sa rondeur à bas régime. Seule la distribution desmodromique demeure. Ouf.

Ducati Panigale 1199 1299

Le bicylindre de la Panigale, est le L2 le plus puissant jamais produit, de quoi offrir de belle glisse à l’accèle à Troy Bayliss, ci-dessus au guidon. @photo-constructeur

Le moteur de 1199 cm3 qui propulse la Panigale est le bicylindre le plus puissant jamais produit. Il délivre 195 chevaux alors que la moto ne pèse que 188 kg tous pleins faits. La Panigale s’impose alors comme une nouvelle référence. La 1199 revendique 17 kg de moins et 25 ch de plus que plus que sa devancière 1198. La Panigale est la première et la seule hypersport  Ducati (hors Desmosedici) à hériter d’un nom et à être baptisée autrement que par sa cylindrée. Elle mérite cette distinction, puisqu’il s’agit probablement du projet le plus complexe porté par la marque. Hélas, ce n’est pas le plus victorieux.

Une généalogie lourde à porter

Le championnat du monde Superbike est un champ de bataille où Ducati s’est fréquemment illustré par le passé. Souvenez-vous des années 90 où Honda a lancé un V2 (Honda VTR SP1) pour pouvoir concurrencer les combattantes rouges. Mais les hypersports Ducati sont tout de même parvenues à conserver leur supériorité, totalisant chacune un ou plusieurs titres de champion du monde Superbike : la Ducati 851 avec Raymond Roche en 1990, la 888 et la 916 avec Carl Fogarty dès 1994, la 996 à partir de 1999, puis la 999 en 2003 ; enfin, la 1098 avec Troy Bayliss dès 2008.

Un succès que ne partagera pas la Panigale, son ascension jusqu’au podium fut aussi douloureuse que périlleuse. Lors de sa première année, en 2013, elle termine difficilement à la quinzième place. En 2014, elle atteint la sixième. Il faut attendre 2015 pour que Ducati la place sur la deuxième marche du podium final. Cette contre-performance peut en partie s’expliquer par l’investissement massif réalisé par Kawasaki en WSBK. Le constructeur japonais est un redoutable concurrent, qui a “l’avantage” de ne pas être présent en MotoGP. Alors que la marque italienne doit se concentrer sur les deux championnats.

De plus, cette période est marquée par les années Rossi. L’idole italienne concentre tellement la dévotion de l’usine bolognaise, que c’est finalement une structure non officielle, supportée simplement par l’usine, qui fera rouler la Panigale jusqu’en 2014. Sans réel succès, alors même que Lorenzo Lanzi parvient à s’illustrer au guidon d’une 1098R. Cela dit, elle n’a pas démérité et a gagné plusieurs courses en mondial. Ainsi que des championnats étrangers tel que les deux dernières saisons du BSB, le championnat superbike anglais, en 2016 et 2017. Ou encore les cinq dernières du CIV, le championnat italien de vitesse !

Ducati Panigale 1199 1299

A cette époque Rossi est pilote officiel en MotoGP chez Ducati. Une présence qui accapare toute l’attention. @photo-constructeur

Interview de Stéphane Pagani : quels sont ses défauts ?

@facebook-StéphanePagani

Stéphane Pagani, pilote en Endurance mondiale et double vainqueur de l’European Bike, nous a aidés à identifier les difficultés que les pilotes ont rencontrées sur la Panigale en compétition. Stéphane a décroché ses deux titres d’European Bike au guidon d’une 1198, puis d’une 1098R en 2011 et 2012. Il a terminé 14e en 2013, avec la Panigale 1199.

  • Comment expliques-tu que la Panigale 1199 ne soit pas parvenue à être aussi performante en compétition que la 1098 ?

Le 1098 est difficile à pendre en main, elle a un châssis très pointu dur à apprivoiser, mais qui, une fois maîtrisé, permet de rouler très vite. À l’inverse, la Panigale est plus accessible, mais lorsque l’on commence à rouler vite, la partie-cycle rend plus rapidement la main, notamment à cause de l’électronique, beaucoup plus présente et handicapante à haut niveau.

  • Qu’en est-il pour le moteur ?

La 1098 est moins puissante, mais elle a une plus grande plage d’utilisation que la 1199, qui a opté pour des côtes moteur hyper-carrées pour plus de puissance, au détriment de la plage d’utilisation automatiquement réduite. Cela oblige à jouer davantage avec la boîte de vitesse.

  • Quels sont les atouts de la Panigale ?

Sa légèreté, qui donne l’impression de rouler sur un 600, et son excellent freinage. Ainsi que sa puissance, dans les lignes droites.

  • Penses-tu qu’un bicylindre puisse encore concurrencer les 4-cylindres en compétition ?

On pensait déjà avoir atteint les limites du L2 avec la 1198, puis finalement Ducati nous a sorti la Panigale. Mais, avec le recul, on peut dire que les limites sont atteintes. C’est la fiabilité qui pose problème, car il est difficile de sortir 200 chevaux avec un L2, tout en gardant la fiabilité des 4-cylindres, qui ont un meilleur rendement et moins de « contraintes » mécaniques.

  • Comment réagis-tu à l’arrivée de la Panigale V4 ?

Le V4 va régler le problème des limites mécaniques du L2, mais probablement lui faire perdre ses principaux atouts, qui étaient le poids et la finesse.

Ducati Panigale 1199 1299

Ses principaux atouts : « poids » et « finesse ». @photo-constructeur

Une épine dans le pied

La fiabilité est le talon d’Achille de la Panigale 1199. Pour preuve, lors des saisons 2014 et 2015 d’European Bike, Stéphane cumula les casses moteur au guidon d’une Panigale 1199. Cela amputa gravement ses résultats et ne lui permit pas de terminer mieux que 20e au classement général. Lorsqu’elle est utilisée sur circuit, même occasionnellement, la Panigale implique un entretien bien plus exigeant que les 4-cylindres.

Stéphane Pagani n’est pas un cas isolé. Ducati West Europe a adressé un courrier aux acquéreurs de Panigale, leur expliquant les lourdes préconisations constructeur en cas d’usage sur piste. Ce courrier conseillait notamment de changer les coussinets de bielle et les pistons tous les 10 000 km. On vous laisse imaginer le prix de ce type d’intervention… D’après Florence De Salve, organisatrice du challenge Protwin, les 1299 Panigale sont, quant à elles, moins sujettes aux déboires mécaniques que la 1199. En effet, la saison 2017 du Protwin n’a vu qu’une seule des sept 1299 casser son moteur.

Ducati Panigale 1199 1299

La fiabilité est un défaut majeur de la Panigale. @photo-constructeur

1 345 Panigale (1199 et 1299 cumulées) ont été immatriculées  de 2012 à 2015, contre 2 080 immatriculations de Ducati 1098 et 1198 entre 2007 et 2010. Les 1098 et 1198 se sont donc mieux vendues en France. Mais on peut relativiser ces chiffres en prenant en compte le tarif plus élevé de 1000 € de la Panigale (en version standard), ainsi que la conjoncture récente, moins favorable au marché des sportives. Pour info, lors de ses quatre premières années de commercialisation (2009 à 2012) la BMW S1000 RR s’est vendue à 2 181 exemplaires. Soit 836 de plus que la Panigale.

Ducati Panigale : une moto marquante

Une chose est certaine : la Panigale bénéficie d’une importante côte de popularité, notamment sur les réseaux sociaux. 1 021 abonnés de notre page Facebook estiment qu’elle est une moto marquante, et seulement 117 la jugent insipide. La pureté de ses traits fait presque l’unanimité, et son look lui a valu plusieurs apparitions au cinéma. Si elle n’est pas une réussite sportive, la Panigale a le mérite de toucher aux sens. Sa plastique vous transperce la rétine, sa sonorité vous traumatise les tympans alors que le cognement de ses pistons vous bouscule. Davantage œuvre d’art qu’outil de performance, la Panigale première du nom mérite respect, ne serait-ce que parce qu’elle a audacieusement tourné une page technologique et clos un chapitre de la marque Ducati.

Avec la collaboration de Anna Lopes et Valentin Roussel 



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2 commentaires sur cet article
  1. Bonjour.
    Dur votre commentaire sur la fiabilité. Que doit-on penser du courrier DUCATI : changer les coussinets de bielle et les pistons tous les 10 000 km lors d’une utilisation même occasionnelle sur circuit ?
    J’espère que les futurs acquéreurs de Panigale 1199 d’occasion ne verront pas votre article sinon je ne suis pas prêt de pouvoir vendre la mienne !!!!
    Hervé.

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  2. Pour une sportive sensée être dédiée à la piste (ce qu’a déclaré ducat pour justifier que les panigale ont un moteur plus pointu et donc plus creux que les 1198), c’est pas top…

    Je prévois d’en acheter une (occase donc) pour la route, et après avoir longuement étudié le sujet, il semblerait que le changement d’échappement et du filtre à air gomme le creux à 5-6000 tr/min (+15ch, voire 23 pour le kit Zard! pour un changement de pot, c’est hallucinant^^). Bon sur ce genre de meules la facture est en général salée, mais en occase la plupart des panigale ont déjà un échappement libéré (termignoni/akra), les proprios doivent avoir un budget plus conséquent que ceux d’autres marques je suppose.

    La légèreté et l’agilité me semblent des qualités idéales pour une sportive de route, les demi-guidons plus écartés que sur les autres sportives la rendent plus facile à manier (bras de levier plus important).

    Et donc surtout pas de piste pour cet engin, bon à savoir…

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